« Une équipe de l’armée de l’air française va s’installer à Bouaké »
En Côte d’Ivoire, la France va restituer, ce jeudi 20 février, la base occupée par le 43e bataillon d’infanterie de marine (Bima) aux autorités ivoiriennes. Ce camp militaire, situé dans la commune de Port-Bouët, deviendra le camp Thomas-d’Aquin-Ouattara, du nom du premier chef d’état-major de l’armée ivoirienne. Une cérémonie officielle sera organisée en présence des deux ministres de la Défense. Cette rétrocession intervient après deux ans de discussions entre les deux parties. Que va devenir ce camp militaire ? Quelles orientations la coopération militaire entre les deux pays va-t-elle prendre ? Et quid de la coopération avec les autres partenaires internationaux dans le domaine de la sécurité ? Téné Birahima Ouattara, ministre d’État, ministre ivoirien de la Défense, était le Grand invité Afrique de RFI ce matin du mardi 18 février 2025. Voici la position du gouvernement ivoirien sur ces questions.
La rétrocession du 43ème BIMA est un symbole fort, qu’entendez-vous aujourd’hui de la coopération militaire avec la France ?
C’est un sujet dont nous discutons avec la partie française depuis deux (02) ans, depuis 2023. Nous nous sommes convenus d’avoir un nouveau partenariat. Nous proposons de consolider la coopération de nos forces conventionnelles, de renforcer l’appui de la partie française dans le partenariat en ce qui concerne le volet renseignement et le volet aussi des forces spéciales et enfin de contribuer à la montée en puissance de l’armée de l’air de Côte d’Ivoire.
Une centaine de militaires français devrait rester pour assurer des formations. Quels sont les besoins spécifiques de l’armée ivoirienne ?
Je dirais que les besoins sont nombreux. Voici comment on pense organiser le 43ème Bima. Nous allons créer un centre d’aguerrissement, nous avons besoin donc avant de projeter nos soldats dans les opérations des Nations Unies, de les former. Jusque là, ces formations se faisaient dans des camps assez réculés et nous pensons que le 43ème BIMA correspond parfaitement à des infrastructures pour la formation. Nous avons déjà créé en partenariat avec la France, une école de communication au niveau des armées ce qui est important. Et nous avons l’intention aussi d’y installer un certain nombre de bataillons dans le camp.
Et comment ça va se passer pour vous, le fait de récupérer finalement ce camp ? Comment est-ce que c’est un avantage ou est-ce que c’est une charge en terme de coût d’entretien de ce site ?
Les deux à la fois. Un avantage parce que ça nous permet quand même d’avoir un espace beaucoup plus grand pour un certain nombre de choses à faire. Ça c’est sûr. Mais effectivement ce sont des charges quand même assez importantes pour nous, parce que 230 hectares à entretenir, en terme de budget ça va aller chercher loin. Mais nous allons essayer de dégager avec le ministère du Budget, de l’Economie et des Finances, les budgets nécessaires pour que nous puissions entretenir cet espace aussi important.
Quelle est la contrepartie à cette coopération ?
La coopération militaire continue avec la France. Nous n’avons pas de rupture en réalité parce qu’une équipe de l’armée de l’air française va s’installer à Bouaké par exemple où il y a des infrastructures appropriées pour la formation des pilotes ivoiriens. Donc, la coopération continue en réalité. La France a voulu réarticulé son dispositif en Afrique, on ne peut que donc qu’aller dans ce sens, mais la coopération continue.
À Munich ( Allemagne) vous avez eu un entretien avec le commandant d’Africom ( commandement militaire des USA pour l’Afrique). Est-ce que l’administration de Donald Trump vous parait disposée pour reconduire le soutien des États-Unis en matière de formation et d’équipement des armées ivoiriennes ?
J’ai indiqué donc au responsable d’Africom le Général Langley (Michael) que nous avions quelques inquiétudes parce que nous avions un plan de formation avec les États-Unis qui a dû connaître un ralentissement à partir des instructions depuis Washington ( capitale des USA). Il m’a rassuré pour me dire que la Côte d’Ivoire constitue un quand même un pays important et que c’était une évaluation qui se fera très rapidement et que la coopération devrait continuer normalement.
Au niveau de la sous-région la Côte d’Ivoire est impliquée avec les pays côtiers dans une vision beaucoup plus large de lutte contre le terrorisme dans la sous-région, où est-ce qu’on en est aujourd’hui ? Quelles sont les mesures qui ont été mises concrètement sur place sur le terrain ?
L’initiative d’Accra ( capitale du Ghana), sur laquelle nous comptions beaucoup, a malheureusement de la peine à démarrer parce que cela demande des financements assez importants. Il y a 2 ans à peu près, je pense en 2022, les pays africains avaient été invités à Washington et à l’occasion nous avons présenté le projet à la partie américaine qui avait décidé de nous apporter un soutien. Ce soutien tarde à venir, mais nous avons bon espoir d’y arriver parce que j’ai évoqué cette question aussi avec le Général Langley pour lui dire que l’initiative d’Accra permettrait quand même de régler beaucoup de problèmes en matière de lutte contre le terrorisme. Parce que comme vous le savez, que ce soit la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo ou le Ghana, nous sommes tous impactés par le phénomène terroriste et si nous nous mettons ensemble, si nous mutualisons nos forces, il est sûr que nous pourrions donc faire quelque chose d’important en la matière.
En décembre, 2 gendarmes ivoiriens qui étaient détenus à Ouagadougou depuis plusieurs mois ont pu être libérés grâce à la médiation du Togo. Le soldat et le VDP ( volontaire pour la défense de la patrie) burkinabé sont aussi rentrés chez eux, alors passé cet épisode, est-ce que les discussions avec votre homologue burkinabé de la Défense ont pu reprendre ?
Le Burkina et la Côte d’Ivoire ont une histoire commune. Nous sommes tellement liés par la frontière, par les hommes, par les coutumes…nous avons des populations qui sont de part et d’autre et qui parlent la même langue. Il y a un certain nombre de choses qui font que la Côte d’Ivoire ne peut pas se fâcher avec le Burkina et vis versa. Il peut y avoir des incompréhensions mais très rapidement elles sont levées et la vie continue. Je pense qu’il n’y a pas de problèmes à priori.
Vous parlez justement de la frontière. Est-ce que du coup les discussions sur la délimitation de la frontière qui est commune ont pu reprendre ?
Oui effectivement. À Bobodiolasso (deuxième ville du Burkina) au jour d’aujourd’hui, les discussions ont repris pour essayer d’arriver à une délimitation des frontières. Je pense qu’on devrait aboutir à cela. Les 2 pays se sont fixés un calendrier qui doit se terminer à la fin juin pour avancer sur la question.
Est-ce que vous êtes volontaire pour essayer de relancer les discussions autour de la mise en place de patrouilles mixtes entre le Burkina et la Côte d’Ivoire ?
On l’a toujours souhaité…la partie burkinabée nous avait donné des assurances en ce sens là, mais pour le moment ce n’est pas effectif. Mais c’est notre souhait, parce que cela permettrait vraiment de régler un problème, cela permettrait à la Côte d’Ivoire de nettoyer le Nord ivoirien, ça permettrait aussi au Burkina de nettoyer le Sud de son pays. Mais pour le moment, ce n’est pas effectif. La dernière opération que nous avons menée ensemble date de 2021 et depuis ce temps, nous n’avons pas renouvelé l’expérience. Mais j’ai bon espoir que nous puissions y arriver quand même.
Comment cela se passe-t-il avec votre voisin ghanéen qui semble montrer des signes de rapprochement avec les membres de l’AES ? Comment cela a été perçu au sein de la CEDEAO ( Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) ?
Non non, nous maintenons des relations avec les uns et les autres. C’est normal que le Ghana qui est frontalier au Burkina puisse maintenir des relations avec lui, un pays de l’AES. C’est comme nous qui avons des relations avec les uns et les autres.
Mais est-ce que le fait que le Ghana ait nommé un envoyé spécial sur l’AES, cela ne fragilise pas davantage les messages portés par la CEDEAO ?
Pas du tout puisque la CEDEAO elle-même garde la porte ouverte pour les pays de l’AES reviennent. Donc si un pays de la CEDEAO décide d’avoir des relations assez étroites avec les États de l’AES, c’est tant mieux. Le Togo a une relation étroite avec les États de l’AES mais il continue d’être à la CEDEAO. De mon point de vue, il n’y a aucun problème à ce sujet.
Monsieur le ministre, un mot de politique. Le Président Ouattara il y a un mois au moment des vœux au corps diplomatique a dit qu’il n’avait pas encore pris sa décision concernant l’élection du mois d’octobre. Est-ce que vous personnellement vous pensez qu’il veut tout de même y aller ?
Posez la question au Président de la République, merci.
Propos retranscrits sur RFI par OG
Photo légendée : Téné Birahima, ministre ivoirien de La Défense.